jeudi 28 août 2008

Loi Bachelot : le risque d'achever l'hôpital public

Ne trouvez-vous pas que ça ressemble à chez nous?

Loi Bachelot : le risque d'achever l'hôpital public
Suite à l'échec de la réforme
de 2004 qui devait rétablir
l'équilibre des comptes en
2007, la ministre de la Santé,
Roselyne Bachelot, prépare sa loi
« patient, santé, territoire » pour fin
2008. Il est prévu qu'elle reprenne largement
les propositions contenues
dans le rapport Larcher remis en
avril 2008 afin de sortir le secteur
public hospitalier de la crise. Cette
crise du secteur public est multiforme
: crise économique, déficit des
hôpitaux publics de 760 millions
d'euros en 2007 (dont la moitié par les
CHU), crise sociologique - un personnel
hospitalier démotivé et une
perte d'attractivité de l'hôpital public
pour les professions médicales, crise
de qualité -, problème de la sécurité
des soins - plus de 5 000 morts par an
dues aux maladies nosocomiales.
Si cette loi ne faisait que reprendre
le contenu du rapport Larcher,
elle risquerait sérieusement de
condamner l'hôpital public pour au
moins trois raisons.
D'abord, ce rapport entérine la
généralisation de la tarification à
l'activité - dite T2A. Les établissements
sont dorénavant rémunérés
en fonction du diagnostic et des actes
effectués pour chaque malade lors
d'une hospitalisation. La T2A est de
la même veine que le paiement à
l'acte en médecine de ville, que l'on
sait désuet à l'ère de la médecine globale
- prédictive, préventive et curative
- du XXIe siècle. Ce principe favorise
la surconsommation de soins
médicaux (et donc les déficits),
n'incite pas à rétablir rapidement le
Par
Frédéric Bizard* et le Pr Émile Papiernik **
«Fixer des objectifs impossibles à tenir avec
les moyens mis en place est une assurance
de démotivation, de lassitude et donc d'échec»
patient et freine le développement
des comportements préventifs. On
veut faire générer à l'hôpital des gains
de productivité aux forceps en incitant
les services à multiplier les actes.
Or, la T2A désavantage nettement
l'hôpital public, qui gère les pathologies
lourdes, assure une activité de
recherche et d'enseignement et, en
tant que service public, ne peut sélectionner
ses patients (plus âgés, plus
complexes, avec plus de difficultés
sociales et de handicaps). La T2A va
déshumaniser les hôpitaux et en faire
des usines à soins.
I j1 nsuite, ce rapport ne propose
Ci aucune solution à la mise en place
des 35 heures à l'hôpital, véritable
désastre économique et social. Les
conditions de travail se sont dégradées,
l'État vient de payer plus de
700 millions d'euros en heures supplémentaires,
en attendant le prochain
chèque. Le constat généralisé
de l'échec des 35 heures à l'hôpital est
pourtant une base fertile pour réfléchir
avec les partenaires sociaux à leur
réforme. La masse salariale représentant
plus de 70 % des charges de fonctionnement
dans le public, ne pas
modifier ce dispositif revient à
condamner l'hôpital public à une faible
productivité et à un déficit chronique.
C'est d'autant moins viable que
les règles d'administration de l'hôpital
public, comparativement au secteur
privé, sont lourdes et tatillonnes,
imposant des délais considérables
pour les décisions importantes et des
surcoûts associés à ces délais. Par
exemple, la reconstruction de la
maternité de Port-Royal de Paris,
actuellement en cours, a été décidée
en 1990. Pendant trop longtemps, la
seule justification à la conservation
d'un petit hôpital a été le maintien
des emplois sans que le maire (président
du conseil d'administration) se
soucie du déficit financier ni de la fuite
des médecins ne voulant plus travailler
en petites équipes. La technostructure
sanitaire s'obstine à gérer
l'hôpital comme une administration
et non comme une entreprise de
soins.
Avec les 35 heures et la T2A, on
donne pour objectif aux hôpitaux
publics (70 % sont en déficit) de devenir
rentables, d'avoir encore plus le
rôle de service public et de prendre en
charge de nouveaux types dè soins en
lien avec la dépendance. Comme
dans toute organisation, les individus
qui la composent - médecins, soignants
et administratifs - sont lucides
et rationnels ; leur fixer des objectifs
qu'ils jugent impossibles à tenir avec
la stratégie et les moyens mis en place
est une assurance de démotivation,
de lassitude et donc d'échec.
L'échec présumé d'une loi visant
à sauver l'hôpital public - maillon
essentiel d'un système de santé performant
- serait l'échec emblématique
de la politique de civilisation voulue
par le président de la République
et, partant, une régression de notre
civilisation moderne.
* Maître dè conférences à Sciences Po,
président-fondateur de Kiria.
"Professeur émérite de l'université
Paris V-René Descartes, ancien chef
de service de gynécologie-obstétrique
à l'hôpital Cochin Port-Royal, AP-HP.

Aucun commentaire: